Le Cardinal Giuseppe Mezzofanti était un religieux et un universitaire de Bologne au XIXe siècle. Il est sans doute le polyglotte le plus renommé et connu de toute l’histoire.
D’après les différentes versions sur sa vie, il est dit qu’il avait le don d’apprendre une langue étrangère en deux semaines pour les plus rapide, avec un niveau de maitrise relativement haut, tout ça sans jamais se rendre dans le pays, car en effet, Mezzofanti n’est jamais sorti d’Italie.
Malheureusement quand le Cardinal décéda, son secret disparu avec lui vu qu’il n’a jamais dévoilé à personne ses méthodes.
Les informations que nous avons sur lui sont composé de témoignages du passé, de documents relatant la vie de Mezzofanti et d’hypothèse provenant des recherches effectuées sur ses affaires personnelles.
À l’époque il a aussi appris le chinois et c’est d’ailleurs la langue qui lui a donné le plus de fil à retordre.
Bien que les stratégies qu’utilisent par les grands polyglottes ont souvent des points communs, le Cardinal avait quelques techniques qui sortent de l’ordinaire et que j’ai trouvé génial.
Parcours éducatif
Son enfance
Giuseppe est né dans une famille de 6 enfants à Bologne. La famille était de condition économique modeste et le père qui était menuisier, souhaitait que son fils devienne commerçant pour s’occuper de la famille.
Le hasard faisant bien les choses, alors que le petit Guiseppe âgé de 6 ans aidait à l’atelier, la fenêtre d’en face était une classe donnée par un prêtre qui donnait des cours de latin et de grec.
La répétition des leçons qu’il entendait lui ont permis petit à petit d’accumuler quelques connaissances qui très vite ont attiré le directeur de l’école qui aussitôt essaya de convaincre son père de le laisser accéder à l’éducation mais sans succès.
Ce n’est que plus tard, un peu à contre cœur que son père accepta de l’envoyer à « l’école pieuse » car c’était gratuit.
À ce moment il apprit les matières de base comme l’algèbre, la géographie, la grammaire ou encore les sciences, parmi beaucoup d’autres matières. Mais une chose intéressante est que les cours étaient données par des missionnaires dont certains venaient d’Espagne, d’Amérique latine ou encore d’Allemagne.
Suivant les versions, il développa un intérêt pour les langues et profitant de la compagnie des missionnaires de passage il apprit plusieurs nouvelles langues dont le suédois,
Sous les jésuites
A ce moment-là, il apprit aussi le grec sous la direction du prêtre Jésuite Manuel Rodriguez.
Un peu plus tard, une maladie le cloue au lit pour trois années.
Après un rétablissement difficile, celui-ci se remet immédiatement à l’apprentissage des langues et apprends la grammaire juive, l’arabe, le Syrien et d’autre langues du moyen Orient.
Au vu du cadre multilingue et multiculturel dans lequel il évoluait, il est certain que ça ne peut qu’apporter du positif pour sensibiliser l’oreille aux sonorités étrangères et développer une gymnastique mentale à force de passer d’une langue à l’autre.
D’ailleurs, concernant son apprentissage du latin et du grec, ces langues sont très difficiles à apprendre. Leur système grammatical est relativement complexe et en plus, au 18e siècle, ces langues sont “mortes”, ce qui en fait des langues encore plus difficiles apprendre.
Mais c’est sans doute justement ces langues complexe qui ont peut-être développé une certaine agilité grammaticale et linguistique dans la tête du jeune Giuseppe et préparer son cerveau à analyser et assimiler d’autre langues.
Il faut ajouter à ça que l’éducation qu’il a eu sous les jésuites est aussi un avantage très conséquent.
En effet, les jésuites sont connus pour avoir une discipline d’étude très rigoureuse. Formé à l’étude par eux est sans aucun doute un avantage qui lui a permis d’apprendre des enseignements spécialisés et de développer un esprit d’analyse qui a dû être utile pour apprendre les langues.
Tout comme le rapporte la rencontre avec Mezzofanti, d’un élève Hongrois : “Il m’a grandement encouragé à me consacrer à la phonétique, et il disait que pour les vingt ou vingt-quatre premières langues seulement, cela impliquait des difficultés, ensuite pour les autres c’est facile”.
Enfin les jésuites sont connus pour avoir créé et fait usage de techniques de mémoire. Un exemple des plus parlant est celui de Matteo Ricci qui justement s’était faits apprécié de la cour chinoise car il avait développé une méthode pour traduire la langue chinoise et avait attisé l’intérêt des chinois avec des systèmes de mémoire (西国记法) qui aurait pu être utile pour passer les examens mandarinaux.
Ses accomplissements
On n’a jamais pu établir combien de langues au total il parlait.
Dans certaines biographies il est dit qu’il en parlait 45, dans d’autres 50 et le maximum serait 72. D’après Charles William Russell qui est le premier à avoir écrit sa biographie et qui est considéré comme la meilleure, il serait parvenu à une très grande maitrise dans une trentaine de langues et pour le reste, son niveau variait entre une bonne compréhension et juste la connaissance de quelques phrases.
D’après son entourage de l’époque ses connaissances des langues étaient tel qu’il était capable de s’exprimer aussi dans certains patois et dialectes d’autres pays avec l’accent spécifique à chacun de ces dialectes.
Le cardinal était aussi loué pour son humour, ses connaissances en littérature, et son amour des jeux de mots. Autant dire que Mezzofanti pouvait s’intégrer à n’importe quel cercle, cela faisait de lui un véritable “caméléon social”.
Il s’adaptait si vite que même lorsqu’il s’initiait à de nouvelles langues, alors même qu’il sonnait encore comme un débutant, au cours d’activité sociale, après avoir parlé avec plusieurs individus dans leur langue respective, chacun quittait la rencontre avec le sentiment que le cardinal avait parlé sa langue le plus couramment.
Le plus remarquable était sans doute sa capacité à apprendre une nouvelle langue dans un temps incroyablement court.
Il est dit que pour certaines langues il pouvait arriver à tenir une conversation et recevoir une confession dans cette langue en 2 semaines.
Le plus étonnant c’est qu’il y parvenait sans l’utilisation de dictionnaire ni de grammaire. Et pouvait même se passer de faire un échange linguistique.
Est-ce que Mezzofanti possédait des talents naturels ?
D’après lui, ses talents, il les devait à Dieu qui lui avait donné « une incroyable flexibilité des organes de la parole et une bonne mémoire »
La possibilité d’être très doué est envisageable, mais il reste humain. Être un peu plus performant qu’une autre personne peut s’expliquer par des facilitées. Mais faire 71 fois mieux que les autres, il y a forcément autre chose.
L’homme qui parlait 72 langues : Cardinal Giuseppe Mezzofanti
Lorsqu’on l’interrogeait sur sa manière d’apprendre les langues, celui-ci répondait : “«Ma propre manière concernant l’apprentissage de nouvelles langues n’est autre que celui de nos écoliers, en écrivant des paradigmes et des mots, et en les engageant à la mémoire. ”
Tel est l’image qu’il avait de ses propres méthodes. Il est toujours difficile de s’autoévaluer, néanmoins les témoignages de ceux qui l’ont connu apportent des compléments très intéressants :
Chaque situation est une opportunité pour apprendre
Gogoll, qui a passé douze ans à Rome, l’a rencontré plusieurs fois. Il a décrit la méthode de Mezzofanti comme suit :
« Il choisit une phrase, y réfléchit longtemps, et la retourne dans toutes les directions. Il ne passe pas à la phrase suivante avant qu’il n’ait pu en tirer tout ce qu’il voulait savoir.
Et je voyais toujours sur son bureau, une pile de dictionnaires, de livre de catéchisme, d’autres livres en tous genres et des « vocabulaires » (probablement des glossaires). »
Lorsqu’il allait se confesser ou rendre visite à ses proches, il murmurait et traduisait des poèmes en chemin : « J’utilise chaque minute pour étudier », disait-il avec une douce ironie auto-moqueuse. Tout comme un musicien qui compose même en marchant, sauf que mes doigts ne bougent pas. »
Cela rappelle une anecdote sur le célèbre juriste Aguesseau autrefois qui lorsqu’on lui a demandé quand il avait écrit l’une de ses œuvres les plus précieuses, il a répondu : « Pendant les heures où ma femme était en retard pour le dîner ».
A part son don spécial, il a certain qu’il étudiait infatigablement.
Suivant les versions, il arrivait souvent qu’il étudiait très tard le soir ou la nuit à la seule lueur d’une bougie et sans même utiliser le chauffage durant ses séances d’études.
Cette puissance de travail semble être un point commun a tous les grands polyglottes, on ne manquera pas de pense à Emil Krebs qui était aussi un véritable phénomène.
Au temps de Mezzofanti, des étudiants internationaux avaient été recruté pour la Congrégation. Giuseppe devait donner des cours à des classes de plus de 100 élèves originaires de 41 pays. Il est évident qu’il a enseigné autant qu’il a dû apprendre de ses élèves.
Aussi le sens du détail pour la phonétique faisait partie de ses atouts. Il analysait les défauts de prononciation des élèves et cherchait les raisons pour lesquels une ethnie donnée ne pouvait pas produire ou entendre un son et comment arriver à le corriger.
Dialogue même tout seul
Ce que Mezzofanti a aussi modestement exprimé à propos de son propre apprentissage des langues c’est qu’une personne bien équilibrée poursuit avec plaisir sa discipline choisie. ”Il a été reporte avoir des conversations prolongées avec lui-même en l’absence d’un partenaire. C’est un détail très important car ça ressemble énormément à la technique de l’autologue de Kato Lomb
La stratégie de la prière
Un de ces secrets est qu’il avait mis au point une méthode très ingénieuse pour mémoriser la grammaire.
Il demandait à un locuteur natif de traduire un extrait de « la prière du Seigneur ou du Notre Père » dans la langue qu’il souhaitait étudier.
Pourquoi « la prière du Seigneur » ?
Car le paragraphe de cette prière contenait les éléments grammaticaux fondamentaux d’une langue.
Effectivement si on observe la structure du paragraphe, il y avait tous les éléments de base comme le complément d’objet direct, le complément d’objet indirect, les différentes formes de phrases, les temps (passe, présent, futur), le genre (masculin, féminin des mots), sujet, verbe, etc.…
Donc dans seulement un ou deux paragraphes, il obtenait une représentation de la quasi-totalité du langage !
Brillant !
Par la suite il demandait à un locuteur du pays de répéter cet extrait jusqu’à ce qu’il saisisse les sons et les rythmes de la langue.
Après des milliers d’heures de pratique pour polir sa maîtrise du langage, celui-ci pouvait s’en servir avec un degré de maîtrise qui en étonnait même les natifs.
On peut donc dire que la compétence de Mezzofanti c’était sa capacité à extraire l’essence d’une langue à travers un petit extrait. Et il était très bon à ça.
Cette qualité, combiné à un rappel parfait pour le vocabulaire, et il pouvait l’utiliser à volonté pour créer de nouvelles phrases.
Parce que les capacités de mémoire et de phonétique peuvent être amélioré grâce à l’entraînement, au final tout le monde peut utiliser cette technique.
En bref, capitaliser sur une déconstruction sommaire de la langue via un texte, celle-ci devient la charpente de la langue. Puis le vocabulaire et les expressions deviendront les murs et les sculptures qui habilleront l’édifice.
En avance de plus de 200 ans
Dans la bibliothèque de Bologne en Italie, une partie du matériel et des documents qui appartenaient à Mezzofanti ont été conservé là-bas.
Bien que le système complet utilisé par le cardinal n’ait pas été découvert, cependant une inspection de son matériel recèle encore de belles pépites pour ceux intéressé à apprendre les langues.
En effet, ses affaires étaient composées d’une multitude boîte. Chaque boîte contenait les supports d’étude pour une langue. Quand on sait qu’il avait des bases dans plus de 70 langues, on peut imaginer que le nombre de boîtes devait être conséquent.
Ensuite à l’intérieur de chaque boîte, le contenu était divisé en plusieurs catégories : Lettre de famille, correspondance officielle, document officiel, poésie, etc.…
On peut donc voir qu’il était bien organisé et on peut penser qu’il sélectionnait uniquement les contenus qui il étaient les plus susceptible d’être utilisé.
Une autre chose intéressante est que dans ses affaires, on a retrouvé une autre petite boîte mais cette fois, elle était tout en longueur. Elle était divisée en plusieurs compartiments.
Chaque compartiment était attribué à une langue.
Et dans chacun d’eux, on pouvait trouver des papiers découpés en rectangle avec un mot de la langue étrangère sur une face, et sa traduction sur l’autre face.
Des cartes mémoires ?
Il semblerait bien que oui !
Ainsi bien avant que soient inventés les « systèmes de répétition espacée » que nous connaissons aujourd’hui, Mezzofanti l’avait déjà découvert et utilisé 200 ans avant notre génération.
Son rapport au chinois
Le langage qui à lui à demande le plus de temps c’est le Chinois.
Il paraît même qu’entre les spécificités de la langue et son travail sans relâche quand il décida d’apprendre cette langue, au bout de plusieurs semaines d’études intensives du chinois, il aurait fait une crise de nerfs.
Finalement au bout de quelques mois, il est parvenu à acquérir les bases de son Chinois et via les missionnaires chinois qui passaient, il fut capable de donner les sermons en Cantonais (dialecte chinois de la province de Guangzhou “Canton”)
En tout cas ce dont nous avons la certitude, c’est que Mezzofanti a toujours acquis ses connaissances sur place. Car Il n’a jamais traversé la frontière italienne.
Donc encore un mythe qui vole en éclats concernant la pensée populaire qui dit qu’on ne peut apprendre la langue que dans le pays d’origine.
Même les polyglottes ont des trous de mémoires
Quand on aborde le sujet des langues étrangères, à un moment ou à un autre, les sujets de l’âge et de la mémoire vont être abordés.
Des remarques comme « Apprendre une langue m’intéresse mais même le nom de mon voisin ou celui de mon médecin, j’ai souvent du mal à me le rappeler à la mémoire ! »
Pour prouver qu’une mauvaise mémoire des noms n’implique pas le déclin général des capacités mentales, voici une anecdote de la deuxième rencontre du cardinal et de Fejérváry.
Mezzofanti accueillit son invité chaleureusement et se souvint exactement où et dans quelles circonstances ils s’étaient rencontrés, mais soudain, il ajouta : « Monsieur … vous devez m’excuser, mais j’ai oublié votre nom. »
La mémoire mécanique des noms s’affaiblie même pour plus grand polyglotte de tous les temps, mais ses compétences linguistiques qui nécessitaient une réflexion logique sont restées jusqu’à la fin de sa vie.
La preuve en est que le cardinal Altieri rencontra Mezzofanti quand il atteignit l’âge de soixante-treize ans et il s’écria avec ravissement à la fin de leur conversation : « Mais vous êtes un dictionnaire vivant de toutes les langues ! Le cardinal, qui était en mauvaise santé, répondit avec mélancolie : «je ne suis plus qu’un dictionnaire dont les reliures sont malades !»
Le facteur sous-évalué
Quand on entend l’histoire ou les prouesses d’une personne qui accomplit des choses hors du commun, les gens cherchent tout de suite une raison particulière et inaccessible aux autres, par exemple : il a été éduqué dans une famille multilingue, Il a commencé l’étude du sujet très tôt quand il était enfant, il avait ça dans ses gènes, ses parents étaient riches donc ils lui ont payé les bons profs dès les départs, etc.
Il est indéniable que ce genre davantage peut apporter une contribution non négligeable.
Même si Mezzofanti a commencé l’étude des langues assez tôt, cependant il a aussi dû arrêter pendant une période pour aider son père à l’atelier de charpentier.
Mais comme on s’en doute, aux 17es s s et 18e siècle, il n’avait pas d’application téléphonique pour revoir son vocabulaire, pas de possibilités de faire des échanges linguistiques sur Skype, pas de laboratoire de langues avec des audio et ni de prendre l’avion pour aller se retrouver en Asie en moins de 12 heures.
Par contre il avait une qualité qui lui permettait d’améliorer ses talents linguistiques sans cesse.
Une qualité qui lorsqu’il souhaitait travailler ses langues, elle lui donnait assez de culot pour aller dénicher des voyageurs qui passaient par Bologne. Car en effet il s’était arrangé avec un Hôtel qui le prévenait dès que des étrangers séjournaient à Bologne.
Il se débrouillait pour savoir comment les appeler, leur poser des questions, prendre des notes lorsqu’ils communiquaient entre eux, avoir un échange ou la possibilité de se lancer dans leurs conversations.
Cette qualité l’obligeait à respecter une règle d’or qui était d’étudier chaque nouvelle règle de grammaire et d’étudier chaque dictionnaire un peu étrange sur lesquels il pouvait tomber.
Il utilisait tout son temps possible pour apprendre de nouveaux mots, faire des exercices ou utiliser des natifs pour parfaire sa prononciation.
Cette qualité qu’il possédait porte plusieurs noms.
On l’appelle “motivation”, “persévérance”, “passion”, “obsession” ou encore “curiosité”.
Cet avantage, peu importe son nom, lui permettait de trouver tout ce dont il avait besoin pour apprendre ce qu’il voulait même si les ressources de l’époque n’étaient pas très abondantes.
En d’autres mots, le désir qu’il avait de parler une langue lui permettait d’imaginer et de développer les moyens pour atteindre son but.
Pour ma part, j’ai testé la technique de la prière de Mezzofanti.
Pas avec la prière en elle-même, mais avec un texte que j’avais créé qui contenait tous les points de grammaire dont j’avais besoin. Ça marche vraiment bien.
Mais il faut que je peaufine un peu plus le texte en lui-même. Je pense que si vous avez un examen de langues, vous pouvez regrouper les points de grammaire importants dans un petit texte que vous apprenez par cœur et le jour de l’examen, vous avez toutes les structures utiles dans un même paragraphe que vous n’avez plus qu’à adapter dans votre test.
Je vous encourage donc à expérimenter par vous-même, et à nous poster vos résultats en commentaire ! 😉
Wow, je suis impressionnée 72 langues. J’aime bien son idée de la traduction de la prière, il pouvait donc faire deux choses en même temps, apprendre et prier. Merci pour le bel article.