Le vocabulaire, c’est le nerf de la guerre pour la communication. Si on ne sait pas nommer une chose, on ne sait pas de quoi on parle. Donc, plus votre vocabulaire est développé, plus vous aurez de succès dans vos échanges.
Mais combien de mots peut-on apprendre par jour ?
En France, généralement lors de la première année d’études universitaires en département de chinois, les étudiants sont théoriquement censés apprendre entre 1 500 et 2 000 mots pour 800 à 1 200 sinogrammes. Si vous interrogez les étudiants, il n’est pas rare qu’ils vous disent qu’ils font des « overdose » de caractères ! Une année universitaire dure environ 10 mois, cela reviendrait à apprendre 5 à 6 mots par jour en moyenne.
Dans les années 1970, une figure importante dans le domaine de l’apprentissage accéléré a mis au point une technique qui a permis d’apprendre 1500 mots en une seule journée. Qu’en est-il exactement ? C’est ce que nous allons voir dans cet article.
Une découverte
Georgi Lozanov était un éducateur et neuropsychiatre bulgare très connu pour ses recherches sur l’apprentissage et l’activité électrique des neurones dans le cerveau.
La découverte de Lozanov, c’est que quand un adulte est éveillé, son cerveau émet habituellement des ondes bêta. Et quand on baisse le rythme cérébral, le cerveau commence à émettre des ondes alpha. Cependant, quand on émet des ondes alpha, on apprend le mieux. C’est le moment où notre efficacité et notre habilité à apprendre sont accélérées.
À partir de là, il s’est demandé s’il était possible d’amener une personne en état d’éveil normal (ondes bêta) à un niveau où elle émet des ondes alpha. De cette manière, il pourrait activer le côté droit et gauche du cerveau simultanément.
Ces travaux ont donné naissance à la théorie de la « suggestopédie ».
Pour appliquer et tester sa théorie dans un domaine plus concret, dans les années 1965, il a commencé une série d’expériences sur l’apprentissage des langues étrangères.
Le test des 48 heures
Lozanov pensait que la façon dont nous étudions dans notre société est tellement inefficace que les gens qui obtiennent un diplôme de niveau licence dépensent 3 ou 4 ans et plusieurs milliers d’euros pour en oublier 90% pendant les vacances d’été qui suivent leur remise de diplôme, dont 80% sont perdus dans les 30 premiers jours.
Cette prise de conscience a été faite grâce à un test réalisé dans des universités, le test des 48 heures. Le procédé est très simple. 48 heures après l’examen final, sans aucune indication préalable, on a rappelé les élèves et on leur a fait passer un examen similaire à ceux qu’ils ont eu pour leur examen universitaire. Et c’est là qu’on voit que les méthodes traditionnelles, comme le bachotage, commencer à engloutir de l’information juste la veille des partiels non-stop jusqu’à la dernière seconde avant de passer la porte de la salle d’examen, permettent de remplir une feuille le jour même, mais sont totalement inefficaces en termes d’acquisition sur le long terme. Presque toutes les informations apprises de cette manière seront perdues.
Pour travailler ou étudier en Chine, par exemple, il est demandé d’obtenir le HSK niveau 4 ou 5, selon les universités et les entreprises. Au Japon, pour travailler, il faut obtenir le JLPT N3. Suivant les constatations de Lozanov pour l’apprentissage des langues, les personnes qui suivent des cours et qui se mettent à réviser à la dernière minute pour réussir les examens finaux ou passer un entretien, une fois arrivées dans le pays de la langue cible, ne sauront même pas demander leur chemin et à peine articuler 4 ou 5 mots de vocabulaire.
Les piliers de la technique
Nous avons vu que quand notre rythme cérébral est bas, le cerveau commence à émettre des ondes alpha. Comment percevons-nous notre condition ? C’est un état où on est parfaitement détendu et très relaxé. La sensation est celle qu’on ressent quand on est perdu dans nos pensées et qu’on rêve les yeux ouverts pendant la journée. Encore en dessous, on a le sommeil léger avec des formes d’ondes complexes et le sommeil profond avec des ondes de faible fréquences (delta).
Pour arriver à cet état cérébral, il a mis au point un protocole qu’il utilise conjointement avec des techniques de respiration, de relaxation et de musique, et qu’il a nommé « suggestopédie ». La « suggestopédie » est l’application du pouvoir des suggestions dans le processus de l’apprentissage.
Et on peut dire qu’il était en avance sur son temps. En effet, en 1995, le concept de cohérence cardiaque a été développé aux États-Unis et est maintenant validé par l’ensemble du corps médical en France et à travers le monde. C’est un exercice de respiration qui permet un contrôle du rythme cardiaque et permet de gérer le stress, l’anxiété et les émotions, améliorant de surcroît la concentration.
un taux de rétention supérieur à 80%
Si sa théorie était bonne, il pourrait développer son concept et ouvrir des instituts. Si cela ne fonctionnait pas, ses hypothèses seraient perdues. Il savait que s’il prenait un sujet d’études comme la peinture ou la musique, les performances pourraient être soumises à l’interprétation. Il fallait miser sur un domaine mesurable, il a donc choisi les langues. Mais quelle langue choisir ?
Dans le contexte de l’époque, il valait mieux choisir une langue utile au contexte politique, mais en même temps suffisamment difficile pour montrer l’efficacité de sa théorie.
Si on regarde les systèmes linguistiques du français et du bulgare, ils appartiennent à des familles linguistiques différentes (le français étant une langue romane et le bulgare une langue slave). Le français possède de nombreux sons qui n’existent pas en bulgare. La phonétique du français peut être difficile pour les Bulgares, sans compter la conjugaison, qui est autant d’informations à retenir.
Parallèlement, dans les années 1970, la langue française était encore largement reconnue comme une langue internationale. Son utilisation dans des organisations telles que les Nations Unies faisait du français une langue importante pour les carrières diplomatiques. La France était et reste un centre majeur de l’éducation internationale, avec de nombreuses universités de renommée mondiale.
Pour toutes ces raisons, Lozanov a donc choisi le français pour faire son expérience.
Ainsi, en 1966, une fois le procédé mis au point, il fit venir 60 étudiants provenant de spécialités très différentes, mais qui étaient en état proche de l’échec scolaire pour leur année en cours. Ils ont également fait bien attention qu’aucun d’eux n’avait auparavant de connaissances dans la langue française.
A noter que pour des apprenants de français a l’époque, pour un cours de 3 heures, il est attendu qu’ils puissent mémoriser de 25 à 40 mots et d’avoir un taux de rétention au fil des cours égal ou inférieur à 80%.
Lozanov voulait doubler la quantité de rétention du vocabulaire. Son but était donc d’apprendre 150 mots avec un taux de rétention supérieur à 80%.
L’heure de vérité
L’expérience s’est déroulée de la manière suivante :
Ils ont fait entrer les cobayes dans une classe, baissé la luminosité des lampes, et ont lu à haute voix des cartes où se trouvaient les mots français sur le recto et leur traduction sur le verso, avec en fond une musique baroque sur un tempo de 60 battements par minute. Les mots français étaient lus aux étudiants au rythme de 4, 8 ou 12 battements par minute, 8 étant le plus fréquent. Pour réduire l’ennui et maintenir la concentration pendant la séance d’apprentissage, le ton de la voix changeait pour chacun des groupes de mots. Pendant la lecture, les étudiants devaient répéter les mots tout en étant dans un état de relaxation.
Ils ont organisé la séance en 3 parties :
- La première révision dans un état de complète conscience.
- La deuxième révision à écouter les mots dans un état de complète relaxation.
- La troisième révision à revoir les mots de nouveau dans un état de pleine conscience.
À la fin de la séance, ils ont constaté que les élèves avaient un taux de rétention de 98%.
L’expérience s’est poursuivie sur 6 semaines, et les résultats furent les mêmes pour les 60 étudiants qui n’avaient aucune expérience en langue. Chaque étudiant avait un taux de rétention de 98%.
Un bonus inattendu
Une chose à laquelle on ne s’attendait pas, c’est qu’une majorité des élèves de l’expérience souffraient de troubles nerveux et étaient suivis médicalement. Après 6 semaines d’expérience à apprendre 150 mots par jour sous cette méthode, presque tous avaient une amélioration très importante de leur situation.
Dans une situation où le stress était éliminé, dans un état de relaxation intense, les participants pouvaient éclaircir leur esprit et se sentaient vraiment bien après leur séance d’étude. Ce qui est complètement l’opposé de notre système actuel qui met les gens tellement sous tension et tellement compétitifs.
Et si on allait plus loin
Par la suite, avant de suspendre l’expérience, il a fait un appel aux volontaires et a ajouté 15 étudiants supplémentaires. À cet instant, ils ont décidé de tester une autre hypothèse : Est-il possible d’apprendre 500 mots en une journée ?
Ils ont donc fait venir les étudiants le samedi et ont fait la même expérience, mais cette fois-ci sur une journée complète, car à l’époque, personne dans toute l’histoire de l’apprentissage des langues n’avait appris 500 mots en une seule journée.
À la fin de l’après-midi, ils ont testé les élèves, et les taux de rétention étaient toujours de 98% !
À la fin de la journée et après les 500 mots, comme les gens ne se sentaient pas stressés, pas fatigués, et qu’ils se sentaient très bien, les chercheurs ont alors décidé de tenter une dernière chose avant la fin officielle de l’expérience.
Ils ont alors fait revenir les 12 meilleurs étudiants deux semaines plus tard pour voir s’ils seraient capables d’apprendre 1000 nouveaux mots en un jour.
Le résultat est qu’à la fin de cette journée, tous les étudiants ont réussi à apprendre tous les mots avec un taux de rétention encore de 98%.
Les chercheurs n’en revenaient pas ! Cependant, qu’en est-il du stockage des informations sur le long terme ? En partant de cette question, 6 mois plus tard, ils ont fait venir tous les étudiants pour les tester sur ce qu’ils se souvenaient. Pendant toute cette période, les étudiants n’ont pas eu l’occasion de revoir les mots qu’ils ont appris, ni de les réentendre ni de les parler. Ils ont trouvé que les étudiants avaient un taux de rétention de 69%.
Et avec une seule revue, la classe était de nouveau à 98% ! En 1974, sous contrôle expérimental, le nombre de mots a été élevé à 1800 mots en un jour. Le résultat fut identique, avec un taux de rétention de 98%.
Apparemment, en 1979, avec un panel d’étudiants sélectionnés cette fois sans problèmes médicaux ni en échecs scolaires, l’objectif du nombre de mots à atteindre fut de 3000 en une journée. Là encore, le taux de rétention fut de 98%.
Les possibilités que ça ouvre
À titre d’exemple, une personne d’origine anglo-saxonne utilise entre 1200 et 2000 mots de vocabulaire dans sa vie quotidienne, et parfois cela peut descendre à 600. Donc, 2000 mots donnent le potentiel d’avoir accès à n’importe quel journal, émission de radio ou de télévision non spécialisée.
Pour un non-natif qui passe l’examen du HSK 6 en chinois, il faut connaître environ 2300 sinogrammes pour un peu plus de 5000 mots de vocabulaire, ce qui est plus que suffisant pour gérer complètement les échanges de la vie quotidienne et du travail en Chine.
Il est généralement admis qu’un Chinois ayant fait des études à l’université connaîtrait autour de 3000 caractères. Pour des spécialistes au top de leur domaine, on considère qu’ils connaissent un peu plus de 4000 caractères.
Pour le japonais, la liste officielle des caractères courants (joyo kanjis) est de 2136.
Ce qui veut dire que théoriquement on pourrait apprendre tous les sinogrammes et le vocabulaire chinois ou japonais en un temps historiquement record avec la théorie de Lozanov.
Le mot de la fin
Les modèles d’apprentissage et d’éducation qui portent sur l’inconscient sont sans doute une voie intéressante à explorer et très prometteuse. C’est encore plus vrai avec les langues lointaines et qui ont une écriture très sophistiquée avec des milliers de caractères comme le chinois ou le japonais. Il ne reste plus qu’à inclure dans notre routine de révision quelques-uns de ces principes et observer comment cela marche pour soi-même.
Faites-moi savoir en commentaire si vous voudriez en savoir davantage sur les techniques de la suggestopédie adaptées à l’apprentissage des langues.
oui on veut en savoir plus sur cette méthode bulgare